Le 165e Bataillon d'Infanterie d'Outremer

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de Claude Léger

ON DEMANDE: Des hommes âgés de 18 à 45 ans, en bonne santé, voulant voyager en Angleterre, en France, en Belgique, et plus tard, il est à espérer jusqu'à Berlin. Toutes les dépenses sont payées, en plus que l'argent suffisant pour dépenses personnelles, équipement gratis et dans le cas des hommes mariés, une allocation généreuse à sa femme durant le voyage de son mari. Billet de retour garanti. Pour détails s'adresser au Capt. W. A. Coyne, Hôtel Brunswick. (Le Moniteur Acadien, Shédiac N.-B., 17 mars 1916, p. 3)

Ce qui suit est un bref historique du bataillon acadien de la Première guerre mondiale, dont le titre officiel fut le 165e Bataillon d'infanterie d'outremer. Celui-ci fut créé en décembre

1915 en pleine campagne de recrutement de l'armée canadienne, qui cherchait désespérément des hommes pour son effort de guerre dans les tranchées de France et de Belgique. Cet historique a été rédigé d'après des articles de journaux d'époque du Sud-Est du Nouveau-Brunswick, ainsi que certains documents historiques et livres publiés.


A quel moment l'idée de créer un régiment Acadien naquit-il dans l'esprit de l'élite irigeante acadienne? Le moment exact est incertain. Toutefois, quelques Acadiens étaient partis à la guerre dans les régiments de la première division canadienne dès l'automne 1914, et bon nombre s'étaient enrôlés dans les nouveaux bataillons d'infanterie créés pour la deuxième division qui arriva au front en septembre 1915, notamment le 22e bataillon (Canadien-Français), le 26e bataillon (du Nouveau-Brunswick), et le 25e Nouvelle-Écosse). D'autres Acadiens se trouvaient dans les batteries d'artillerie et dans divers services auxiliaires.

Toutefois, dès le printemps 1915 il était évident que la guerre serait longue et coûteuse, et on recrutait déjà les bataillons pour de nouvelles divisions que l'on prévoyait former. Les régiments de milice déjà établis cherchaient des hommes, comme le faisaient de nouveaux bataillons créés partout au pays. Chaque province levait ses bataillons, soit par région ou circonscription électorale, selon la densité de population. Aussi, pour encourager davantage l'enrôlement, on avait adopté une méthode britannique selon laquelle des bataillons pourraient se former selon un intérêt particulier: des bataillons de sportifs, de non-buveurs, d'Orangistes, etc... Toute personne d'influence ayant une idée originale pour le recrutement pouvait demander au Ministre de la milice l'autorisation de lever un bataillon, et pouvait espérer devenir Lieutenant-Colonel de son bataillon. Ainsi un bataillon de l'ouest du pays recruta des cow-boys et des Amérindiens, un autre de Winnipeg recruta des non-buveurs, d'autres enrôlèrent des Canadiens d'origine danoise, ou écossaise, ou encore irlandaise. La rivalité était assez farouche, et certaines unités s'accusaient mutuellement de recruter mesquinement dans le territoire des autres. Bien entendu, la guerre était constamment à la une des journaux, habituellement en termes lyriques et héroïques. Chaque semaine on avait assené aux Allemands un coup "dont ils ne se relèveront pas". Par contre au printemps 1915 le pays avait pleuré la perte de 6000 Canadiens dans la seconde bataille d'Ypres, la première division canadienne ayant été jetée dans la brèche créée par l'attaque allemande au gaz asphyxiant. Par ailleurs, assez fréquemment nos journaux annonçaient "la mort d'un autre brave héros Acadien au champ d'honneur". Aussi, dès le début de la guerre les journaux s'étaient mis à publier des lettres de soldats au front, dont plusieurs demandaient pourquoi tant de leurs amis étaient encore au Canada alors qu'eux faisaient leur devoir dans les tranchées...

Dès l'été 1915 les bataillons qui formeraient la deuxième division étaient rendus en Angleterre, et on recrutait pour de nouveaux contingents et pour remplacer les pertes subies par les bataillons déjà au front. Des nouvelles unités comme le 55e bataillon cherchaient des hommes au Nouveau-Brunswick, tandis que d'autres unités enrôlaient de nouveaux soldats, y compris des Acadiens, ailleurs aux Provinces Maritimes et au Canada. L'élite politique et religieuse acadienne soutenait sans réserve l'effort de guerre et encourageait les jeunes Acadiens à manifester la loyauté de leur peuple en s'offrant au service de la patrie et de l'Empire Britannique, contre "l'odieuse agression des teutons". On déplorait toutefois le manque de chapelains catholiques dans la plupart des régiments. L'enrôlement était volontaire, car si l'idée de la conscription faisait déjà son chemin elle devrait attendre plus de deux ans avant de se concrétiser.

En novembre 1915, le journal L'Acadien, alors un journal officiel du parti Libéral, pu rapporter que "Près de 600 Acadiens se sont enrôlés (...) depuis la déclaration de la guerre". D'autres affirmaient que "plus d'un mille acadiens se sont déjà enrôlés, et chaque jour l'enrôlement continu". De ce nombre plusieurs étaient déjà morts ou blessés au combat. Un des premiers soldats de Moncton à mourir au front se nommait Arthur Comeau.

Le 9 novembre 1915, dans la salle l'Assomption à Moncton, eut lieu la première d'une série d'assemblées de recrutement prévues pour la région. De telles assemblées avaient alors lieu à travers le pays. Il s'agissait de rassemblements publics hauts en patriotisme impérial, en présence d'orateurs distingués, de citoyens influents, de fanfares, et de héros militaires. Des officiers de recrutement étaient sur les lieux. On y invitait le public et surtout les jeunes gens d'age militaire, qui étaient encouragés à s'enrôler sur le champ. Plus de 1000 personnes étaient présentes à l'assemblée de Moncton, et 24 jeunes hommes s'enrôlèrent aussitôt, dont 15 Acadiens. Dans son discours le Capitaine L.P.D. Tilley, l'officier recruteur pour le Nouveau-Brunswick, suggéra la formation d'une compagnie, voire peut-être un bataillon, de "Canadiens-Français de Moncton et les environs". Selon le Moncton Times du lendemain: "Capt. Tilley guaranteed that if a French company was formed, they would not be separated but would be kept together. His suggestion was a popular one and was loudly applauded". Le défi était lancé. Le 11 novembre le Times rapporta: "A prominent French-Acadian of this city, in conversation with the Times, last evening, stated that plans were under way for the formation of a French-Acadian recruiting committee for the purpose of enlisting recruits for a batallion. (...) It is understood that proposition was favoured by the clergy."

Dans son éditorial du 12 novembre 1915 L'Acadien lança un premier appel: "Sur les 100,000 acadiens au Nouveau Brunswick il devrait être possible de recruter non seulement une compagnie, mais tout un bataillon Acadien. Nous sommes autorisés par le Capitaine Tilley, l'officier qui a la direction entière du recrutement au Nouveau Brunswick, d'annoncer qu'une compagnie de recrues acadiennes sera formée, et si possible tout un bataillon. Ce bataillon aurait ses officiers choisis de parmi les siens. Quel honneur pour l'Acadie que d'être représentée sur les champs de bataille par une unité composée entièrement des nôtres. Rien nous donnerait plus de prestige qu'une telle représentation. Le capitaine nous prie aussi d'annoncer que tout Acadien qui s'enrôle et qui désire faire partie de la nouvelle compagnie Acadienne n'a qu'à exprimer son désir à aucun des officiers recruteurs au Nouveau Brunswick et il sera immédiatement mis au nombre de ceux qui formeront cette ou ces compagnies. En avant Acadiens! Formons nos compagnies qui formeront notre bataillon!!!" L'idée était ainsi envoyée au grand public Acadien.

Il arriva aussi que quelques jours plus tard, aux funérailles de Sir Charles Tupper à Halifax, le Ministre de la Milice Sir Sam Hughes aurait fait "publiquement de alencontreux commentaires à l'un de nos chefs du fait supposé de l'absence d'Acadiens dans l'armée d'outremer." (1) Par ailleurs on venait d'annoncer la formation de trois nouveaux bataillons d'infanterie au Nouveau-Brunswick, dont deux dans des régions fortement acadiennes: le 145e dans les comtés de Kent et Westmorland et le 132e au Nord-est.

Dans son éditorial principal du 26 novembre L'Acadien revint à la charge avec éclat, citant "Quatre raisons pour un bataillon Acadien". Puisque les Acadiens continuaient de s'enrôler de toute façon, "il serait avantageux pour nos soldats d'être sous la direction d'officiers de leur nationalité et sous la direction spirituelle de chapelains catholiques et Français". Puisque les Acadiens s'enrôlaient dans de différents régiments, et étaient éparpillés dans divers compagnies, "Nous n'en avons eu presqu'aucun crédit. En groupant nos hommes dans un même bataillon nous aurons immédiatement une unité qui indiquera distinctement le degré de notre participation à la guerre." Aussi cette preuve de loyauté des Acadiens servirait à réfuter les "injustes réclamations" des "mangeurs de français" et des "boches de l'Ontario", c'est-à-dire les Orangistes, dont la vicieuse campagne contre le français dans les écoles ontariennes faisait couler beaucoup d'encre au Canada-Français, et dont les confrères orangistes du Nouveau-Brunswick se faisaient l'ardent écho. Donc, poursuivait l'éditorial, "Notre bataillon acadien sera incontestablement un atout puissant dans nos mains plus tard." Enfin, le projet d'un bataillon s'inscrivait dans l'éternelle lutte pour affirmer l'identité nationale acadienne. "Notre contribution d'un bataillon acadien sera la confirmation de ces arguments. Ce sera un acte national de loyauté. Une preuve incomparable de bonne volonté à défendre l'Empire et la constitution qui nous garantie des droits pour lesquels nous sommes prêts à combattre contre aucun ennemi qui les menace."

Le Moniteur Acadien, alors un journal Conservateur, accorda au début un soutien plutôt réservé au projet. Il avança que les idées étaient partagées, que si certains favorisaient avec enthousiasme le projet d'un bataillon acadien, d'autres "sont de l'avis qu'il vaudrait mieux continuer à former des bataillons mixtes tout en faisant les démarches nécessaires pour assurer aux nôtres leur juste proportion dans le choix des officiers, les services d'un chapelain acadien, etc." L'Évangéline se contenta d'une article de 5 phrases en huitième page le 24 novembre, où elle rapporta qu'un comité formé pour étudier le projet s'était réuni dans les salles de l'Assomption à Moncton le 17 novembre, et que "Tous les membres du comité rapportèrent que l'idée semblait être partout bien accueillie". En revanche, dans un éditorial du 8 décembre L'Évangéline devait conseiller aux Acadiens désireux de s'enrôler, d'attendre la création du bataillon acadien. Selon L'Évangéline, devenue enthousiaste, si l'idée du bataillon acadien était si bien reçue "C'est que par toute l'Acadie, tout en constatant que le peuple Acadien a déjà rempli son devoir, on comprend l'importance pour nos soldats Acadiens d'être regroupés sous la direction de chapelains catholiques. On comprend aussi de quelle importance sera cet événement dans l'histoire de l'Acadie, et, lorsqu'il s'agira de lutter pour la revendication de nos droits." Aucune mention ici de service altruiste à l'Empire britannique...

C'est un vendredi soir, le 3 décembre 1915, qu'eut lieu dans la salle l'Assomption à Moncton une assemblée dont le but était d'étudier à fond la question et d'en arriver à une décision définitive. Se trouvaient réunis avec M. Jean Malenfant, qui avait présidé le comité d'étude, de nombreux dignitaires venus de tous les coins du Nouveau-Brunswick, dont le Sénateur Pascal Poirier, le Dr. A. Sormany, F.J. Robidoux, et P.J. Veniot, ainsi que plusieurs membres du public. D'autres personnages politiques et religieux "avaient tenu donner par lettre les raisons de leur absence avec leur approbation et leur encouragement". Pascal Poirier suggéra formellement la formation d'un bataillon acadien dans les Provinces Maritimes. Après maintes discussions, y comprise la suggestion moins ambitieuse de se contenter de compagnies d'Acadiens, on opta pour le bataillon. Une résolution à cet effet fut acceptée et transmise immédiatement au Ministre de la Milice, Sir Sam Hughes. Un comité organisateur fut nommé et le Dr. A. Sormany de Shédiac élu Président. Le 6 décembre le ministre Hughes annonça à Ottawa qu'un bataillon serait levé "parmi les 30,000 Canadiens-Français de la province du Nouveau-Brunswick", et deux jours plus tard arriva un télégramme de Hughes au secrétaire du comité organisateur, Ruffin Arsenault: "Telegram seventh received. We will be glad to accept an Acadian battalion. (signed) Sam Hughes."

Restait à organiser le bataillon. Le 14 décembre le comité organisateur se réunit avec le Capitaine Tilley, et un scrutin fut tenu pour choisir le commandant du bataillon parmi une liste de candidats retenus. Louis Cyriaque D'Aigle de Moncton fut choisi. L.C. D'Aigle avait alors 46 ans, et était issu d'une famille bien connue de Saint-Louis-de-Kent, N.-B. Il n'avait aucune expérience militaire, étant agronome de formation, mais était lui-même bien connu de la communauté acadienne. On communiqua la décision au Ministre de la Milice, lui demandant de bien vouloir la ratifier et d'accorder à L.C. D'Aigle le rang de Lieutenant-Colonel du bataillon. Le Ministre accepta, et désigna le bataillon le 165e Bataillon d'infanterie d'outremer. Il était autorisé à recruter dans les Provinces Maritimes.

Le premier bureau de recrutement fut ouvert aussitôt à Moncton, et Jean Malenfant nommé officier recruteur avec le grade de Capitaine. Un autre bureau fut ouvert à Shédiac par le Lieutenant J. Léandre Melanson, où les premières recrues à s'enrôler dès le 18 décembre furent John H. Devine, Patrice Richard, et René LeBlanc, de Cap-Pelé, et Charles Petitpas de Pointe-au-Chêne. Plusieurs autres de la région Shédiac / Cap-Pelé s'enrôlèrent avant Noël. Des annonces de recrutement parurent dans les journaux dès la fin décembre. On cherchait des hommes de 18 à 45 ans, de hauteur minimum 5 pieds 2 pouces. On assurait les intéressés que "Les examens faits par les médecins ne sont pas très rigoureux et ceux qui ont de mauvaises dents seront mis entre les mains de dentistes..." Le salaire serait $1.10 par jour, et une pension de $20 par mois serait versée aux dépendants d'un soldat pendant son absence. Une pension était prévue en cas de blessure incapacitante, et aux dépendants en cas de décès du soldat.

Dès le début janvier 1916 un groupe d'aspirants-officiers se rendit à Halifax pour suivre des cours devant les qualifier pour des commissions. Le 8 janvier on pu annoncer que déjà 70 jeunes hommes s'étaient enrôlés dans le 165e, dont 26 au bureau de Shédiac. Un aumônier fut nommé par l'archevêque Mgr. LeBlanc, soit l'Abbé Jean V. Gaudet, le Curé d'Adamsville. Des quartiers pour la troupe furent trouvés à Moncton, dans des maisons de pension. Le Lieutenant-Colonel D'Aigle se rendit à la Péninsule Acadienne en quête de recrues pour son bataillon. Des assemblées de recrutement eurent lieu dans les paroisses acadiennes de la Nouvelle-Écosse, ainsi qu'une grande assemblée avec orateurs et dignitaires à Halifax le 23 janvier. Le Rev. Père Gaudet parcourut les paroisses acadiennes du Cap-Breton. On annonça dans les journaux pour des cordonniers, des bouchers, et des tailleurs. On annonça que tous les Acadiens enrôlés dans de différents régiments qui se trouvaient encore au Canada pouvaient se faire transférer au 165e, et on encouragea les parents de ces soldats d'y voir, car "il y va de l'intérêt de leur âme et de l'honneur de l'Acadie". Chaque semaine on publiait les noms des nouvelles recrues. On établit les quartiers généraux du 165e à Moncton dans le Brunswick Hôtel, en face de la gare. Les uniformes arrivèrent.

En février on annonça l'arrivée à Moncton du Capitaine J. Arthur Léger, rappelé du front de bataille pour s'occuper de l'entraînement du 165e. Originaire de Richibouctou, il avait traversé en Europe comme lieutenant dans le 26e bataillon, et avait été promu capitaine au front. Il était jusqu'à lors le seul officier Acadien des Maritimes ayant goûté à la guerre des tranchées. Dès le début décembre 1915 il avait entendu parler de la possibilité d'une formation acadienne et avait écrit du front aux organisateurs du futur 165e, leur demandant d'arranger son transfert à cette formation, dans laquelle il espérait commander une compagnie. Il fut éventuellement promu Major, et nommé Commandant en second du bataillon.

Le dimanche 20 février 1916: une première parade, alors que la troupe se rendit en rang à la messe dans l'église l'Assomption, dans ses nouvelles uniformes "khaki" et au pas de la musique martiale de la Moncton Citizens Band. Ensuite d'autres appels:".... afin de montrer à l'Empire que vous êtes aussi loyaux et patriotes que vos concitoyens d'autres origines, et comme eux prêts à faire votre devoir. Nous lançons également cet appel aux mères et aux soeurs de tous les jeunes gens qui n'ont pas encore répondu à l'appel de la Mère-patrie: qu'elles leur démontrent qu'hésiter plus longtemps serait manquer à leur devoir envers leur patrie et leurs parents, et forfaire à l'honneur." Il fut noté dans les journaux que l'organisation du bataillon était peut-être un peu lente, mais que cela était normal pour une telle entreprise, que le Lieutenant-Colonel D'Aigle faisait son possible, que tout irait du mieux si les Acadiens de partout s'y mettaient. Le Moniteur Acadien s'indigna que le Graphic, journal Libéral de Campbellton, ait lancé "des injures sans la moindre justification..." où il était question de "..politique dans la création du bataillon (...) et dans le choix des officiers". Des mensonges, selon Le Moniteur Acadien, qui défendait à la fois le 165e bataillon et le gouvernement Conservateur de la province.

En mars le Lieutenant-Colonel D'Aigle et le Capitaine Rev. Gaudet parcoururent les paroisses des comtés de Kent et Westmorland pour assister à des assemblées de recrutement, en compagnie d'autres orateurs distingués. Ensuite ce fut le tour des paroisses de la Baie-Sainte-Marie, en Nouvelle-Écosse, et du Madawaska. Les recrues des régions éloignées de Moncton seraient cantonnés dans leurs régions en attendant la mobilisation. On réitéra l'ordre donnée aux commandants des autres bataillons de faciliter le transfert de soldats Acadiens au 165e, car il semblait y avoir de la résistance de ce côté. Les journaux répétaient sans cesse que le succès du bataillon était assuré, et que les recrues se faisaient à la vie militaire: "Ils ont bonne mine". Par contre on nota aussi avec déception que le bataillon penchait plutôt vers l'anglais comme langue de travail. "Du français S.V.P. messieurs les officiers", put-on lire dans les journaux. Des abus furent découvert dans le logement des soldats à Moncton: certaines maisons de pension gardaient trop de soldats, et la ventilation était insuffisante. Evidemment, quand il y avait de l'argent à faire...

En avril un officier avec un détachement de 50 hommes allèrent se cantonner à Richibouctou, "dans le spacieux entrepôt que M. Richard O'Leary a généreusement mis à la disposition du Département de la milice." Le 11 avril eut lieu à Moncton l'inspection formelle du 165e par le Général Benson, commandant de la 6e Division, en visite avec d'autres dignitaires militaires. Le 145e bataillon, qui s'organisait parmi les anglophones de Moncton et des environs, parallèlement au bataillon acadien, fut aussi de la cérémonie. Les journaux parlaient alors quotidiennement de la terrible bataille de Verdun opposant Français aux Allemands qui avait débuté en février 1916, et qui ferait un demi-million de morts avant de s'éteindre d'essoufflement en novembre. On rapportait aussi des faits d'armes canadiens à Saint-Éloi, dans la boue des Flandres près d'Ypres.

Au printemps une souscription publique fut organisée envers l'achat d'instruments pour une fanfare pour le 165e, et on appela particulièrement pour des musiciens. On souligna l'importance pratique d'une fanfare pour accompagner un bataillon au champ de bataille: à cette époque c'était plus souvent à pieds que les armées se déplaçaient, et une fanfare devait faire oublier le mal aux pieds et hausser le moral. On omit de mentionner un autre rôle habituel des membres d'une fanfare militaire: celui de ramasser les morts et les mutilés après une bataille.

Par ailleurs, parmi tous les discours entourant le 165e bataillon, on pouvait entrevoir d'autres activités de recrutement en Acadie: "Il y eut dans l'école de la Rivière du Portage, le 8 avril, une réception (...) organisé par l'instituteur de cette école M. A.W. Losier et ses élèves pour venir en aide à l'acquisition d'une fanfare militaire pour le 132e bataillon (North Shore) qui va bientôt partir pour le front..." ou encore: "...recruteur arrivé des Iles-de-la-Madeleine avec six nouvelles recrues, dont quatre pour le 145e et deux pour le 165e..."

En mai l'aumônier lança une demande aux Acadiens pour une offrande d'expiation envers leur bataillon. Il ne faisait aucun doute, selon l'aumônier, que le grand responsable de la guerre était l'empereur Allemand. Toutefois, selon le dogme du péché originel, la guerre était un châtiment divin pour la "punition des crimes des sociétés civiles, des familles et des individus." Ceux qui participaient à la guerre ou qui en souffraient le faisaient en expiation pour l'humanité coupable. S'il était important que tous prient pour le retour de la paix, "l'aumônier et les soldats du bataillon acadien joindront l'immolation à l'invocation. Nous voudrions une participation directe de toutes les âmes acadiennes à cette oeuvre d'expiation." Il demandait donc des dons de chapelets, de médailles, de scapulaires, ainsi que de l'argent et des ustensiles sacrés pour une chapelle portative. Chaque semaine les journaux publiaient les listes de donateurs et leurs dons envers la fanfare ou l'offrande d'expiation. On lança aussi une nouvelle campagne de recrutement, qui arriverait sans aucun doute à remplir les cadres du bataillon Acadien si seulement les gens faisaient leur devoir en répondant à l'appel...

Le 12 juin eut lieu une autre inspection, formelle et haute en cérémonie, des deux bataillons en formation à Moncton, cette fois par le Ministre de la milice Sir Sam Hughes lui-même. Des milliers de spectateurs étaient présents pour l'occasion, la première du genre à Moncton. Finalement, le mercredi 28 juin 1916, sous une pluie battante, les recrues du 165e bataillon paradèrent sur la rue principale de Moncton au pas de leur toute nouvelle fanfare et de la fanfare Citizen. Le bataillon comptait alors 850 hommes, selon Le Moniteur Acadien, mais seulement 700 hommes selon l'album souvenir du bataillon qui fut publié par la suite (1). Ils se rendirent à la gare où une multitude de gens étaient venus les saluer, et montèrent dans le train qui devait les mener au camp d'entraînement de Valcartier, près de Québec. Sur le convoi on pouvait lire sur deux longues bannières:"165e Bataillon" et "Acadiens-Français, venez avec nous". Le Moniteur Acadien décrit le départ: "Au départ du train, les fanfares et la foule ont fait une chaleureuse ovation aux officiers et soldats qui, pendant leur séjour à Moncton, ont su, par leur belle conduite, gagner l'estime et l'admiration de tous. De nombreux vivats furent lancés dans les airs à l'adresse des braves officiers et soldats et les fanfares jouèrent pour ainsi dire sans répit." Des détachements de Météghan et d'Antigonish avaient rejoint le bataillon à Moncton, tandis que le détachement de Caraquet devait embarquer à Bathurst, et celui d'Edmundston les joindrait à Rivière-du-Loup.

Quelques officiers et soldats, ainsi que la fanfare, demeurèrent à Moncton pour continuer les efforts de recrutement, car il manquait au-delà de 200 hommes pour compléter les rangs du bataillon. On continua donc les appels:"Le champ de recrutement du 165e est plus étendu que celui de bien d'autres régiments et il ne faut pas que ceux-ci le devancent." On blâma avec amertume les Colonels d'autres bataillons qui auraient refusé aux Acadiens le droit de transférer au 165e. De toute façon on ne s'expliquait pas pourquoi tant d'Acadiens s'étaient enrôlés dans des bataillons protestants alors que le catholique 165e avait été créé spécialement pour eux.

Le camp d'entraînement de Valcartier avait été aménagé de toute pièce en une période de quelques semaines à l'automne 1914. Pendant l'été on y vivait sous la tente. Si, officiellement, on devait dire que "la vie sous la tente fut agréable aux soldats acadiens" (1) il y eut par contre des plaintes en privé: "...c'est très sain, toujours au grand air mais le pire est qu'on gèle la nuit, on couche sur la terre et pour le moment nous sommes courts de couvertures..."(2) On apprenait les arts militaires: le maniement et le tir de fusils, l'escrime à la baïonnette, les manoeuvres de troupes. On apprenait aussi la discipline, à se dépêcher, et à attendre. L'artillerie tirait du canon et la nuit était souvent éclairée par la lueur de fusées d'éclairage ou de signalisation. Il y avait aussi le côté cérémonial: les revues, les parades et les "march past" pour les dignitaires, dont une revue de quelques 15,000 soldats devant le Lieutenant-Gouverneur du Québec au début août, et une autre en honneur du Duc de Connaught, alors Gouverneur-Général du Canada, deux semaines plus tard. Arrivaient aussi les visiteurs ordinaires: "...au camp comme ailleurs, les épouses viennent voir leurs maris, les mères, leurs enfants. Quelques officiers et soldats du 165e ont eu la visite de leurs parents. Le sergent Muise amenait son épouse et son fils passer quelques jours au camp (...) Madame (Colonel) D'Aigle et sa jeune fille sont aussi à Valcartier depuis quelques semaines." En Acadie on continuait de lever des fonds au moyen de "tag days" au profit du bataillon, et on poursuivait les efforts de recrutement afin de le compléter. En France cependant, la grande offensive britannique sur la Somme sévissait. Dès la première journée, le 1er juillet 1916, soixante milles britanniques étaient tombés sous les balles des mitrailleuses allemandes, dont 20,000 étaient morts. Parmi ceux-là, le régiment de Terre-Neuve avait été à-peu-près anéanti. Et la bataille devait durer jusqu'en novembre, parallèlement à celle de Verdun.

Selon tous les rapports des journaux, le 165e fit belle figure pendant son séjour à Valcartier en cet été 1916, de par son organisation, sa discipline, sa sobriété, et la compétence de ses officiers. Ce qui ne fut pas rendu public c'est que le Lieutenant-Colonel D'Aigle, dès le mois d'août, luttait pour conserver intact son bataillon face à la crainte que les autorités militaires voudraient le fondre dans un bataillon québécois. Il était apparent que le bataillon acadien pourrait difficilement remplir ses cadres, et puisque la même situation prévalait dans beaucoup d'autres bataillons, les autorités désiraient en regrouper pour former des bataillons complets d'environ 1100 hommes qu'ils pourraient expédier en Europe.

Un bataillon d'infanterie devait comprendre quatre compagnies d'environ 250 hommes, commandés par des Capitaines, en plus du personnel administratif et de soutien, des unités de spécialistes comme les lanceurs de grenades, et la fanfare. Le tout formait un corps distinct, une grande famille sous les ordres d'un Colonel ou Lieutenant-Colonel, secondé par un Major et des officiers administratifs. C'est au niveau du bataillon que devait agir l'esprit de corps, car il y avait généralement une prépondérance d'hommes d'une région distincte, ou avec un intérêt en commun. Transportés en Angleterre sur des convois réguliers, les bataillons y étaient affectés à leur place dans l'hierarchie de l'armée. Quatre bataillons réunis formaient une brigade, commandée par un Brigadier-Général, et trois brigades en plus de l'artillerie, service de transport, police militaire, et autres services, formaient une division. Une division complète se rendait alors sur le continent pour occuper un secteur de front sous l'égide du haut-commandement britannique. A l'automne 1916 le Canada avait quatre divisions en France. Pour combler les vides laissés par les terribles pertes du printemps et de l'été autour d'Ypres et sur la Somme, les nouveaux bataillons arrivant en Angleterre devenaient désormais des sources de soldats frais pour les unités du front. Un bataillon se voyait démantelé, peloton par peloton, compagnie par compagnie, et ses effectifs versés dans un bataillon ou une brigade au front, si possible originaire de la même région du Canada. Les vides à combler se situant surtout au niveau de la troupe et des officiers subalternes, les officiers supérieurs des bataillons dépouillés n'avaient plus qu'à chercher du travail ailleurs dans l'état-major, accepter un poste inférieur au front, ou rentrer au Canada.

Dans une lettre de quatre pages à son supérieur, le Brigadier-Général H.H. McLean, écrite à Valcartier en date du 29 août 1916, et apparemment en réponse à des questions au sujet de son bataillon, D'Aigle affirmait qu'il avait 750 hommes formés et prêts à se rendre outremer. Il contestait vivement l'idée de fondre son bataillon dans une unité canadienne-française: "...the French Acadians are a distinct people from the French Canadians both in character and temperament and the French Acadians will not get along with the French Canadians." (3) Il insista qu'il pourrait compléter son bataillon à l'automne, suivant la récolte et la saison de pêche. Il rappela amèrement l'entente selon laquelle les Acadiens d'autres régiments devaient être permis de transférer au 165e, entente qui selon lui n'avait pas été respectée. Des centaines d'Acadiens, selon D'Aigle, se trouvaient dans d'autres bataillons qui auraient souhaité se joindre au 165e. Il cita en exemple le 132e, recruté dans le nord du Nouveau-Brunswick, qui comptait dans ses rangs quelque 730 Acadiens. Il transmis le souhait de l'élite acadienne du Nouveau- Brunswick que le 165e soit maintenu intacte et expédié en Europe aussitôt que possible.

D'Aigle avait sans doute entendu parler de discussions à l'État-Major de l'armée et au Ministère de la Milice au sujet du démantèlement et de la recombinaison de bataillons canadiens-français alors à Valcartier. Toutefois les documents d'archives indiquent que ces discussions concernaient les bataillons québécois seulement. On voulait dissoudre les quatre bataillons québécois incomplets dans l'espoir d'en former deux complets, que l'on pourrait envoyer outremer. Le 165e faisait partie de la brigade du Nouveau-Brunswick (avec les 132e, 140e, et 145e), et ne figurait pas sur les listes de bataillons "canadiens- français". La suite est néanmoins intéressante: H.H. McLean, en plus d'être commandant de la brigade du Nouveau-Brunswick, était Député fédéral pour Queens-Sunbury. Il transmis la lettre de D'Aigle à l'Hon. J.D. Hazen, Député fédéral pour Saint-Jean, Ministre de la Marine et des Pêches, et apparemment l'ange-gardien des bataillons néobrunswickois. McLean remarqua à Hazen:"I know you are in sympathy with the Acadians and are pleased at the loyal spirit they are showing. (...) Now I would like you to write to Daigle to the effect that you have read his report and put in your letter nice things about the Acadians. (...) By the way, would you show Daigle's letter to General Gwatkin. He takes a great interest in the Acadians." (4) Ce Général Gwatkin, d'origine britannique, était le Chef de l'État-Major de l'armée. Il vérifia qu'il n'avait jamais été question de dissoudre le 165e, et en assura Hazen. Par ailleurs il apparait dans ces documents que le 165e était bien considéré par les échelons supérieurs de l'armée.

Le 27 septembre 1916 on annonça le départ imminent du 165e bataillon du camp de Valcartier, et il quitta le camp le 1er octobre. Toutefois il ne se rendait pas en Europe comme on s'attendait, mais à Saint-Jean N.-B. où il devait passer l'hiver. Il était normal pour des bataillons de passer l'hiver dans certaines villes des Maritimes avant de se rendre en Angleterre. L'hiver précédent, le 69e bataillon canadien-français avait séjourné à Saint-Jean, et le désormais célèbre 22e à Amherst. D'ailleurs c'était bon pour les affaires, et les marchands le réclamaient. Plus tard on expliqua "Puisqu'il devait rester une unité dans la province, le 165e étant la dernière autorisée de la brigade du N.-B., il était convenable qu'il restât de préférence à d'autres." (1) Des documents d'archive suggèrent toutefois qu'il avait été question de transporter le 165e et le 132e ensemble en Europe dès leur départ de Valcartier. Mais une épidemie de rougeole sévissait dans le 132e et celui-ci fut placé en quarantaine au camp militaire de Sussex, N.-B. D'autres documents suggèrent qu'il était question de permettre au 165e de remplir ses cadres. (4)

Le train transportant le 165e à Saint-Jean s'arrêta brièvement à Moncton, où une foule nombreuse l'acclama. Il poursuivit ensuite son trajet et arriva à Saint-Jean en après- midi du 2 octobre, où il fut acclamé par "le corps des échevins et une grande foule" (1). La troupe marcha en formation derrière la fanfare par les rues pavoisées, jusqu'à l'arsenal, où les dames du Canadian Club les attendaient avec "des tables chargées de mets recherchés". L'automobile du maire dans lequel prenait place le Lieutenant-Colonel D'Aigle, mena la parade. Les officiers Acadiens furent reçus en pompe et on offrit les clefs de la ville au bataillon.

Pendant que le 165e s'installait pour l'hiver et que le 145e, lui, se rendait en Angleterre, une chicane éclata dans les journaux opposant L'Acadien au Moniteur Acadien. Il manquait toujours 250 hommes au 165e, et L'Acadien accusa le gouvernement Conservateur de la province de favoritisme envers les régiments anglophones dans son aide au recrutement. Le Moniteur Acadien dénonça cette accusation, la qualifiant de "misérable attentat de soulever des préjugés" et de "lâches insinuations", ce à quoi L'Acadien rétorqua "...comme bien d'autres, nous n'avons voulu donner au public les détails écoeurants du rôle méprisable qu'ont joué certains politiciens conservateurs (...) quand cette guerre sera terminée le public apprendra..." Et ainsi de suite. La question ne fut pas résolu, mais témoigne du sentiment de frustration qu'occasionnait les difficultés à remplir les cadres du bataillon acadien.

On multiplia de nouveau les appels au patriotisme et au devoir envers le 165e, les accusations contre les commandants d'autres bataillons qui auraient refusé de transférer les Acadiens, et jusqu'aux autorités militaires qui auraient essayé "d'empêcher notre bataillon de trouver des recrues". On couvrit de louanges le Lieutenant-Colonel D'Aigle, pour son courage et sa persévérance. On suggéra aux paroisses, aux municipalités, même aux succursales de la Société l'Assomption de se charger chacune de trouver un certain nombre de recrues. En novembre on laissa enfin planer la possibilité du démembrement du bataillon si celui-ci n'était pas complété. En décembre, conformément à une amnistie générale décrétée par le Gouverneur Général pour tous les bataillons au Canada, on conseilla aux déserteurs de rejoindre le bataillon au plus tard le 15 décembre faute de quoi "la loi militaire sera suivie à la lettre...". Pendant la période des Fêtes on demanda le concours du clergé. Mais au début 1917 il manquait toujours 230 hommes.

En dernier recours, L'Évangéline, le 3 janvier 1917, fit appel à "nos bons parents" qui "souvent s'opposent à l'enrôlement de leurs enfants pour des raisons bien motivées". Ceux qui craignaient la mort ou la mutilation de leurs fils ne devaient pas "trop s'illusionner et considérer les choses au pis aller". Et ceux dont le souci était d'ordre religieux: que leur fils finirait par perdre sa foi catholique au contact de tous ces étrangers, n'avaient rien à craindre: "Notre bataillon, j'oserais bien dire le seul dans les armées de l'Empire, est essentiellement catholique." Le commandant, les officiers, le directeur de la fanfare étaient tous de bons catholiques. L'aumônier, "de pasteur pieux et dévoué" était devenu "chapelain infatigable". En outre, en refusant d'envoyer leurs fils au bataillon acadien ils seraient peut-être responsables de la perte spirituelle, voire l'apostasie, des enrôlés, car le bataillon serait démembré et tous ces jeunes Acadiens seraient éparpillés dans des unités anglaises et protestantes où ils risqueraient de perdre leur foi. "Soyons patriotes, mais avant tout soyons chrétiens."

Ce fut le dernier appel. Les soldats continuèrent leur entraînement à Saint-Jean en vue de leur service éventuel dans les tranchées. Les officiers eurent l'occasion d'offrir un bal formel à la haute société, avec toute la cérémonie, la galanterie, et l'élégance impériale de rigueur à l'époque. Une équipe de hockey du 165e fut championne d'un tournoi militaire. On avait laissé entendre que le 165e ferait partie de la 5e division de l'armée canadienne, s'il échappait au démembrement. Certains faits ne parurent pas dans les journaux: un vérificateur venu de l'état-major critiqua vertement l'administration financière du bataillon, et un rapport médical nota un certain nombre de cas de maladies vénériennes. Par contre la condition physique et morale ainsi que le niveau de compétence du bataillon furent louangés par l'Inspecteur Général de l'Armée au début mars. Selon cet officier, le 165e était prêt pour le service outremer.

A Moncton cependant on continuait les cueillettes pour le fond régimentaire. En février 1917, lors d'un "tag day", certaines des femmes qui faisaient le porte-à-porte furent rebroussées et le bataillon acadien insulté par des anglophones de la ville. Ce fut le seul incident du genre rapporté dans les journaux. D'ailleurs le Moncton Times avait très bien accueilli et encouragé le bataillon acadien, quoique celui-ci avait en quelque sorte rivalisé le 145e dans le recrutement au sud-est du Nouveau-Brunswick l'année précédente. Le Times avait alors accordé dans ses rapportages une importance à-peu-près égale au deux bataillons, tandis que les journaux français parlaient seulement du 165e. Aussi, de to ute évidence, le 165e avait été bien reçu à Saint-Jean, où les marchands avaient souscrit une importante contribution à son fond régimentaire. Toutefois, le fait que le 165e était toujours au Canada alors qu'on annonçai déjà des morts et des blessés parmi les hommes du 145e, avait suscité une certaine polémique à Moncton.

Le 24 mars 1917 le 165e décampa soudainement pour de "nouveaux quartiers" où il devait compléter son entraînement. Il s'agissait en fait du départ pour l'Europe, mais cela était un secret militaire. La nouvelle se répandit toutefois, et une importante foule attendait à la gare de Moncton vers minuit lorsque le train transportant le bataillon à Halifax fit un bref arrêt. Le départ de Moncton se fit "parmi les pleurs et les gémissements des mères et des fiancées".(5) Le bataillon comptait maintenant 658 hommes, ses effectifs ayant été réduits par une stricte inspection médicale avant son départ de Saint-Jean. En septembre 1916 le Ministère de la milice avait resserré ses normes en matière de condition physique suite à des abus qu'avaient invité un certain laisser-aller dans ce domaine. Et, encore tout récemment, les autorités militaires britanniques avaient critiqué vertement le trop grand nombre d'hommes inaptes aux rigueurs de la guerre arrivant du Canada. Ces hommes devaient souvent être repatriés, ce qui représentait un gaspillage.

Certains officiers du 165e durent se resigner à voir partir le bataillon sans eux, car les règlements stipulaient qu'un bataillon incomplet ne pouvait justifier un plein complément d'officiers.

Arrivé à Halifax vers six heures et demi le lendemain matin, le bataillon se rendit au pas de marche jusqu'au quai, où il dut attendre jusqu'en après-midi avant d'embarquer sur le navire qui le transporterait en Angleterre. Il s'agissait du Metagama, un vapeur faisant la navette entre le Canada et l'Angleterre, transportant des soldats frais vers la guerre et des blessés et permissionnaires à son retour au Canada. Les soldats avaient faim, n'ayant rien mangé depuis leur départ de Saint-Jean, vingt-quatre heures plus tôt. Le journal du navire note: "Embarcation completed at 6:00 P.M. Steamship Metagama left dock at 7:00 p.m. and anchored in Bedford Basin. Weather fine. Troops quiet and orderly." (5) Deux autres bataillons, le 198e, de Toronto, et une unité de la Nouvelle-Écosse partageaient le navire avec le bataillon acadien, faisant un total d'environ 1700 soldats.

Le Metagama quitta le port de Halifax vers cinq heures de l'après-midi le 28 mars, par beau temps et mer calme, et en compagnie de quatre autres transports et d'un croiseur. Le soir les hommes devaient demeurer à l'intérieur avec les rideaux tirés, afin qu'aucune lumière n'échappe et puisse servir de point de cible aux sous-marins allemands, qui causaient alors de sérieux dégâts aux flottes marchandes des alliés. Quoique la mer fut agitée par périodes, occasionnant le mal de mer chez plusieurs, la traversée s'effectua dans la routine: "exercices physiques, inspections, pratique de fanfares, un concert et une conférence sur une expédition de l'antarctique (...) C'est le 6 avril 1917, fête du Vendredi Saint, que les soldats virent pour la première fois les côtes de l'Irlande" (5) Le 7 avril le bataillon débarqua enfin à Liverpool, et fut transporté immédiatement par train au camp d'entraînement canadien de Shoreham-by-the-Sea, sur la côte sud de l'Angleterre, arrivant le soir-même.

Après le départ du 165e il y eut à son sujet un silence officiel jusqu'au 11 avril, date de parution dans l'Évangéline d'un bref communiqué annonçant son arrivée en Angleterre. En mai quelques lettres de soldats parurent dans les journaux, y compris une du Capt. Rev. Gaudet. Envoyées du camp de Shoreham, ces lettres dataient de la mi-avril, et la plupart racontaient la traversée de l'océan. On apprenait par ailleurs que "le bataillon est forcé de rester dans les limites du camp à cause de maladies contagieuses, non dangereuses cependant (...) On ne sait encore si le bataillon doit être transféré comme renforts dans d'autres corps d'armée et quand il sera appelé à se rendre au front." Le 13 juin l'Évangéline nota en première page: "Toutes sortes de rumeurs nous arrivent sur le compte du 165e bataillon acadien, et s'il fallait en croire les uns, le bataillon serait rendu en Égypte, tandis que d'autres annoncent son démembrement et sa traversée en France, par mode de renforts (...) Le fait est que, grâce aux instances du Lieutenant-Colonel D'Aigle, le 165e bataillon est aujourd'hui à-peu-près assuré de rester intact et de traverser en France comme tel." Certains lecteurs ont du rire jaune, car plus bas sur la même page une lettre du Capt. Rev. Gaudet, datée du 16 mai, annonçait que les hommes du 165e seraient versés dans le Corps des Forestiers. Ils n'iraient pas au front. Il n'y aurait donc plus de 165e Bataillon d'infanterie. En juillet on pu lire dans l'Évangéline que les hommes du bataillon acadien formaient désormais deux compagnies de forestiers, la 39e et la 40e, et se trouvaient "quelque part en France".

C'est à Shoreham que le 165e bataillon avait été démembré. Selon le journal du Capt. Rev. Gaudet, les Acadiens avaient eu le choix de se joindre au 10e bataillon de réserve canadien-français ou au 13e du Nouveau-Brunswick. Trois cent vingt-deux Acadiens avaient choisi le 10e, et 172 avaient opté pour le 13e, "au désespoir de l'aumônier" (5). Ces bataillons de réserve étaient des unités de renfort, cantonnés en Angleterre. Chacun était rattaché à un bataillon du front, et lui transférait des hommes au besoin. Le 10e bataillon de réserve était rattaché au 22e bataillon d'infanterie (Canadien-Français) en France, tandis que le 13e bataillon de réserve était rattaché au 26e, "The Fighting 26th", l'unité représentative du Nouveau-Brunswick au front. Les 132e et 145e bataillons avaient aussi été démembrés, la plupart des hommes du 145e passant au 26e. En fait, très peu de bataillons d'infanterie ayant une désignation supérieure à "100" se rendirent au front en tant qu'unités (6), car ils arrivèrent trop tard outremer. Le Canada avait déjà quatre divisions complètes sur le continent dès l'automne 1916, et on craignait qu'y envoyer une cinquième créerait des difficultés de ravitaillement. La cinquième division fut toutefois formée en Angleterre en 1916, mais fut affectée à la défense des Iles Britanniques. En 1917 on commença à lui soutirer ses effectifs pour renforcer les divers unités sur le continent, et on finit par la dissoudre en 1918.

Le journal du Capt. Rev. Gaudet ne concorde pas exactement avec les documents officiels, quant à la chronologie du démembrement du 165e bataillon. Selon le journal de guerre du 13e bataillon de réserve (7), 24 officiers et 524 soldats du 165e lui furent transférés dès leur arrivée à Shoreham, le 7 avril 1917. Ce transfert avait sans doute été décidé avant le départ du Canada. Il était alors la politique de l'armée de permettre aux bataillons incomplets ayant atteint un certain minimum d'effectifs, de conserver leur identité jusqu'à leur départ du Canada. On voulait ainsi ménager les sensibilités des communautés d'origine des bataillons, et éviter de décourager le recrutement.

Toujours selon le journal du 13e bataillon de réserve, le 1er mai les 10 hommes de la section des signaleurs du 165e furent transférés du 13e au 10e bataillon de réserve, d'où ils iraient rejoindre le 22e bataillon au front. Ce même jour, 10 officiers et 327 soldats du 165e furent versés du 13e bataillon au Corps Canadien des Forestiers. Ils se rendirent au camp de Sunningdale, là où s'organisaient les compagnies de forestiers. Quelques semaines plus tard 9 autres officiers du 165e allèrent les y rejoindre.

De toute évidence les autres soldats du 165e, près de 200 hommes, demeurèrent au 13e bataillon de réserve, en attendant leur transfert au front. Nous savons que plusieurs de ces Acadiens se rendirent éventuellement au front dans des unités d'infanterie, et que certains y moururent ou furent blessés. D'autres furent affectés à des postes dans divers services de l'état-major. Mais la majorité des hommes et, pour ainsi dire, l'esprit du 165e, furent versés au Corps des Forestiers.

Le Corps canadien des Forestiers avait été créé par le Canada un an plus tôt, à la demande du gouvernement britannique. Il devait exploiter les forêts britanniques et françaises afin de fournir du bois d'oeuvre aux armées de l'Empire britannique et de la France, pour affermir les tranchées, construire des voies ferrées, et pour d'autres constructions militaires. Si au début de la guerre on n'avait pas voulu rendre les tranchées trop confortables, croyant à la reprise d'une guerre de mouvement, on s'était finalement résigné au fait d'un long siège où il importait d'être bien installé afin de tenir plus longtemps que l'adversaire. Dans cette même optique on avait aussi recruté des compagnies de cheminots pour installer et maintenir les voies de ravitaillement, car on avait apprit que l'issue d'une bataille ne dépendait ni du courage des soldats, ni de la compétence des officiers, mais de la quantité brute de matériel et de soldats engagés. Par ailleurs, certaines des compagnies de forestiers furent éventuellement affectées à la préparation de pistes d'aviation et à d'autres travaux d'infrastructure. Notons aussi que l'armée américaine qui arriva en France à partir de la fin 1917 possédait aussi son propre corps de forestiers.

Plusieurs compagnies de forestiers furent recrutées au Canada et envoyées en Angleterre en tant que telles. Au moment où le 165e quittait le Canada, une compagnie de forestiers était en phase de recrutement à Moncton, et une autre à Sussex. Aussi le Capitaine Stehelin, originaire de la Pointe-de-l'Église, Nouvelle-Écosse, avait été détaché du 165e au départ du bataillon vers l'Angleterre, et chargé de recruter une compagnie de forestiers parmi les Acadiens de la Baie-Sainte-Marie. Au moment de l'Armistice, en novembre 1918, il y avait 101 compagnies canadiennes de forestiers à l'oeuvre en France et en Grande-Bretagne, comprenant plus de 30,000 hommes (8). Au moins trois de ces compagnies étaient formées en majorité des Acadiens du 165e.

C'est à la fin mai, 1917, que les premiers forestiers Acadiens se rendirent en France (9). La 39e Compagnie de Forestiers comprenait 6 officiers et 169 hommes, la plupart du 165e bataillon, sous le commandement du Major J. Arthur Léger. Avec ses 71 chevaux, la compagnie quitta Sunningdale le 23 mai, s'embarqua au port de Southhampton pour la traversée jusqu'au Havre, et voyagea en train jusqu'à Andelot, dans le Jura français, arrivant le 28 mai. Elle se rendit ensuite à Vers-en-Montagne, où les hommes entreprirent immédiatement la construction d'une scierie qu'ils devaient ensuite faire marcher. Plus tard, deux des officiers Acadiens de cette compagnie, les Lieutenants Doucet et Bourgeois retournèrent au 13e bataillon de réserve comme combattants.

Sous le commandement d'un Capitaine Rideout, la 40e Compagnie de Forestiers fut formée de 173 hommes du 165e bataillon, avec 6 officiers. Avec ses 73 chevaux, la compagnie accompagna la 39e jusqu'au Jura, s'établissant à La Joux. Les hommes travaillèrent comme bûcherons dans les riches forêts de conifères de la région, livrant leurs billots à la scierie de la 39e Compagnie. Ils travaillèrent aussi à l'aménagement de routes et d'installations. Au mois d'août 1917 la commandement passa à un Capitaine Grant.

La 48e Compagnie de Forestiers était composée des hommes de la Compagnie "C" du 165e bataillon, qui demeurait presque intacte. Sous le commandement d'un major J.I. Hartt, cette unité quitta l'Angleterre le 23 juin 1917, pour se rendre à La Saussouze, dans la région de Bordeaux, où elle entreprit immédiatement des opérations de coupe de bois. Une autre compagnie de forestiers, la 47e, était aussi formée d'hommes des Provinces Maritimes, dont un certain nombre provenaient sans doute du 165e bataillon.

Le Capt. Rev. Gaudet fut affecté comme chapelain dans la compagnie du Major Léger, dans le Jura, quoiqu'il eut l'occasion de voyager un peu partout en France (5, 10). Il garda un journal intime qui fut le sujet d'une publication en 1986 (5), dans laquelle on peut lire:"Loin de leurs familles, les soldats s'ennuyaient beaucoup, et on essayait de les distraire en organisant des conférences et des sports. Pendant la fête du Dominion (1er juillet, 1917) le camp organisa une rencontre sportive (...) A mesure que le temps passe dans le Jura, l'aumônier enregistre une baisse dans la pratique religieuse des soldats. Il trouve qu'ils boivent trop et surtout se laissent gagner aux charmes des jolies coquettes qu'ils rencontrent. Il a beau prêcher sur la moralité et les dangers des maladies vénériennes, ses paroles ont peu d'effet sur la conduite des soldats assoiffés de sentiments humains. Vers janvier 1918, l'aumônier devient dépressif et pessimiste face à son ministère sacerdotal. Il trouve que les officiers ne lui rendent pas la tâche facile, quand ils traitent les cérémonies religieuses de spectacle, méprisent les aumôniers, encouragent les soldats à s'enivrer et à courir les hétaires (prostituées). Ils ne favorisent pas l'assistance à la messe, en imposant toutes sortes de corvées les dimanches. De plus, les soldats n'ont plus peur de mourir depuis qu'ils travaillent dans le Jura, loin des canonnades allemandes."

Quelques lettres publiées par la suite dans l'Évangéline semblent indiquer que les soldats acadiens étaient contents de leur affectation. Certains rassurent leur parents qu'ils sont loins de tout danger, et parlent du climat, des belles forêts, du paysage et des gens. Aucun d'entre eux n'exprime regret d'être loin du front et des possibilités de gloire. Ils ne participèrent donc pas aux grandes batailles canadiennes de 1917. La prise de la crête de Vimy par les Canadiens, glorieuse mais ô combien sanglante, avait eu lieu au moment où le 165e débarquait en Angleterre. Et l'offensive d'été autour d'Ypres se transforma en un futile combat d'usure, qui devait prendre fin en novembre dans l'horreur et la misère dans la boue gluante de Passchendaele. Plus à l'est la grande offensive printanière française du Général Nivelle s'était soldé en catastrophe, cassant à tel point le moral de l'armée française qu'il en résulta de graves mutineries. Si l'on pu faire grand cas au Canada de la victoire de Vimy, l'année 1917 en demeura néanmoins une de malheur pour les Alliés.

Au printemps 1918, suivant le retrait de la Russie de la guerre, les Allemands purent concentrer toutes leurs forces sur le front occidental et lancèrent à leur tour une offensive majeure. C'était une attaque de dernière chance dans l'espoir d'en finir avant l'arrivée en force des Américains. Ce fut la panique chez les Britanniques, qui durent battre en retraite, et on distribua des armes à tous les membres du Corps des Forestiers. Certaines unités des Forestiers furent rappelées pour le combat. Mais les Allemands manquèrent de souffle, et commença ensuite le repli allemand qui devait se terminer à l'armistice le 11 Novembre 1918. Leur aventure terminée, la plupart des soldats du 165e regagnèrent l'Acadie et le foyer sur divers navires en février et mars 1919, après une absence d'environ deux ans.

Le Lieutenant Aimé Léger, de Cocagne, ne s'en revint jamais. Lors du démembrement du 165e il s'était enrôlé dans le Royal Flying Corps en compagnie des Lieutenants Alfred H. Belliveau et A. J. Cyr. "Gloire à l'Acadien in excelsis", écrivait-t'il dans une longue lettre publiée dans l'Évangéline en juillet 1917, expliquant sa décision. Il fut tué en septembre pendant sa formation d'aviateur, alors que son avion tomba dans la mer près de la côte anglaise. Il fut enterré derrière une petite église anglaise. Sa courte vie, ses études brillantes, ainsi que sa mort et ses funérailles d'officier et de héros furent l'objet de nombreux articles de journaux pendant l'automne 1917.

Le Lieutenant Alfred Bourque, de Moncton, fut décoré de la Croix Militaire pour galanterie face à l'ennemi en août 1917. Il avait été officier de milice dans l'artillerie avant la guerre, et avait transféré au 165e peu après la création du régiment, s'occupant entre autre de recrutement. Il était toutefois parti à la guerre comme officier d'artillerie avant le départ du 165e. Au moment de sa décoration il servait dans l'infanterie.

Le Major J. Arthur Léger passa la reste de la guerre comme commandant de forestiers Acadiens, lui qui avait pourtant couru le danger en tant que commandant de la section des lanceurs de grenades au 26e bataillon, en 1915. On disait alors que l'espérance de vie d'un grenadier au front était d'environ une semaine. A la fin novembre 1917, apparemment sans le savoir, le Major Léger causa toute une polémique alors que deux lettres qu'il avait écrites à son ami l'Hon. J.B.M. Baxter de Saint-Jean, député provincial et futur Premier-Ministre du Nouveau-Brunswick, parurent dans le Moncton Times. On était alors en pleine campagne politique pour cette fameuse élection fédérale dont l'unique et épineuse question était celle du service militaire obligatoire. Dans ses lettres le Major Léger se disait, comme presque tous les soldats de l'armée d'outremer, très favorable à la conscription. Il dénonçait amèrement l'attitude de ceux, surtout au Canada français, qui étaient contre. Or le père du Major, M. Auguste Léger, était candidat dans Kent pour les Libéraux de Wilfrid Laurier, le parti anti-conscriptioniste. Il n'en fallu pas plus pour que le Times, farouche supporteur du Parti Unioniste de Borden, s'empare des écrits du fils pour humilier le père. Malgré les protestations des journaux Libéraux, selon lesquelles les lettres étaient des faux, Auguste Léger ne fut pas élu.

Le Capt. Rev. Gaudet demeura dans le Jura jusqu'au mois de juillet 1918. Il fut alors affecté comme aumônier dans un poste de secours et de triage des blessés derrière le front en Picardie, où il côtoya les pires horreurs de la guerre. Ensuite il fut aumônier au 22e bataillon, avant de retourner en Angleterre à la fin octobre. Il regagna le Canada à la fin mars 1919. Jean Gaudet poursuivi sa vocation de prêtre comme Curé dans diverses paroisses, dont celle de Shédiac de 1925 à 1939. Pendant la Guerre '39 -'45 il fut de nouveau aumônier militaire, dans divers camps militaires au Canada. Il termina sa carrière comme Curé à Dieppe, prenant sa retraite en 1956. Il mourut à Dieppe en 1971.

Au printemps 1918 on annonça la publication et la mise en vente d'un album souvenir du 165e bataillon d'infanterie. Il s'en trouve sans doute toujours dans les greniers de vieilles maisons un peu partout en Acadie. Il contient les photographies et les noms de tous les officiers et soldats du régiment peu avant son départ de Saint-Jean. Parmi les noms on en retrouve dans les listes de tués et de blessés publiées dans les journaux d'époque, surtout vers la fin de la guerre. Pour n'en nommer que quelques-uns: F. Labrie, Paquetteville, tué; Pascal LeBlanc, Newcastle, tué; Lieutenant J.T. Doucet, Bathurst, tué, (le lieutenant Doucet était de ceux qui avaient étés envoyés au Corps des Forestiers, mais était retourné au 13e bataillon de réserve en octobre 1917); Osias Girouard, Moncton, mort d'une pneumonie; Félicien Roy, Moncton, mort d'une maladie; J. Doucet, Grand-Étang, Cap-Breton, blessé; Lieutenant A.J. Cyr, St-Hilaire, Madawaska, prisonnier de guerre.

Pour sa part, le Lieutenant-Colonel D'Aigle s'en revint au Canada à la fin novembre 1917. Comme de nombreux autres officiers supérieurs de bataillons tard-venus, l'armée n'avait plus besoin de lui. Il eut été impensable de lui donner un poste de commandant au front, puisque à cette période de la guerre les commandants étaient promus de parmi les subalternes aguerris. La troupe aurait mal acceuilli le commandement d'un non-initié. Sans doute en guise de consolation, il était la coutume d'offrir aux officiers démobilisés au moins une visite au front, mais pas plus. A son retour à Moncton, le Lieutenant-Colonel D'Aigle ramenait les instruments de fanfare de son bataillon.

Au printemps 1918, Louis-Cyriaque D'Aigle s'en alla avec sa famille au Saskatchewan où il avait accepté un poste comme agronome dans la fonction publique provinciale. Plus tard il devint professeur en agronomie, spécialiste de la production laitière. A sa retraite il s'en revint en Acadie, et fut auteur de livres et d'articles historiques, dont un important historique de Saint-Louis-de-Kent. Il mourut en 1958.

Si c'est un officier recruteur anglophone qui fut le premier à exprimer tout haut l'idée d'une unité acadienne, la rapidité et l'enthousiasme avec lesquelles une certaine élite en Acadie s'en empara suggère que l'idée germait déjà dans l'esprit acadien. Tel qu'élucidé dans les articles de journaux cités plus haut, le 165e bataillon semble avoir été une oeuvre de volonté nationale: une manifestation parmi tant d'autres chez les Acadiens, du désir de se marquer comme peuple distinct en fondant leurs propres institutions, afin de conserver la religion et, plus tard, la langue et la culture. En outre, pour avancer sa cause il importait à l'époque que l'Acadie fasse preuve de loyauté envers la Couronne Britannique.

Par contre il ne faut pas supposer que cette manifestation de loyauté était entièrement motivée par des intérêts nationaux ultérieurs. Certaines lettres de soldats Acadiens au front, surtout au début de la guerre, parlaient du devoir envers le Roi et l'Empire avec révérence et une apparente sincérité, étonnantes et difficilement comprenables par nous qui les lisons trois générations plus tard. C'était une autre époque, avec d'autres valeurs. D'ailleurs, les valeurs d'avant-guerre furent ébranlées par le massacre futile de toute une génération, et la société occidentale en sortit amère et cynique. Le monde d'avant-guerre, pourtant si récent, devait alors sembler une époque rêvée, lointaine, et incroyablement naïve.

Dès le début, certains doutaient de la réussite du bataillon Acadien. Invité à l'assemblée d'inauguration de décembre 1915, P.J. Veniot écrivait de Bathurst aux organisateurs: "Je serais des plus heureux de voir s'organiser un bataillon acadien (...) mais il ne faut pas oublier que déjà un très grand nombre des nôtres se sont enrôlés et se trouvent au-delà des mers."(11) Il notait que déjà plusieurs Acadiens s'étaient enrôlés dans le nouveau bataillon du nord-est de la province (le 132e), et qu'il faudrait arranger le transfert de ces hommes au bataillon acadien pour assurer sa réussite. Il semble donc que, dès ses débuts, le 165e fut désavantagé du fait que l'esprit guerrier acadien s'était déjà engagé dans d'autres régiments.

L'enrôlement au 165e bataillon jusqu'à son départ outremer semble avoir suivi la tendance générale du recrutement au Canada. Hormis l'enthousiasme martial du tout début de la guerre, alors que dans certaines régions du pays on se bousculait devant les portes des bureaux de recrutement, la période allant de l'automne 1915 jusqu'au printemps 1916 fut la plus fructueuse pour le recrutement à travers le pays. Par la suite, et malgré les efforts soutenus des recruteurs, le taux d'enrôlement diminua. "They are gone who are willing to go as volunteers, the others must be pressed.", remarqua un colonel ontarien, cité par l'historien Desmond Morton (6), qui note aussi, parlant de ces fameuses assemblées de recrutement:"Prudent young men quickly learned to avoid such public meetings...". En 1917 le gouvernement invoqua la conscription, et les premiers conscrits furent enrégimentés dès le début janvier 1918.

Enfin, c'est probablement grâce à la volonté et à l'énergie de Louis Cyriaque D'Aigle que le 165e réussit, malgré la tendance générale, à recruter assez d'hommes pour lui permettre de traverser l'océan en tant qu'unité. Et c'est à-peu-près en tant qu'unité, quoique considérablement réduit, que le régiment fut versé au Corps des Forestiers.

Le 165e bataillon d'infanterie fut aboli officiellement le 5 avril 1918. En conformité avec la tradition militaire de filiation régimentale, le 165e, avec d'autres unités dont le 132e bataillon, est perpétué dans le North Shore(N.-B.)Regiment.

Membres du 165e Bataillon d'infanterie d'outremer originaires de la région Shédiac / Cap-Pelé, d'après le livre souvenir du régiment (1). Il y en a 55:

François Arsenault, Cap-Pelé;
Edouard C. Boucher, LeBlanc Office;
Alyre A. Belliveau et Jude Belliveau, Shédiac;
Ernest Belliveau, Painsec Sett.;
Eric Bourque et Willie C. Bourque, Shédiac;
Arthur J. Caissie et Emile Caissie, Shédiac;
Didas Caissie, Evangéline;
François Comeau, Painsec Sett.;
David F. Cormier et Alexis Cormier, Grand Shémogue;
Fidèle Cormier, Haute-Aboujagane;
Louis Cormier, Cap-Pelé;
Fred H. Cormier, Barachois;
Fidèle Després, Shédiac;
Alphonse M. Doiron, Dupuis Corner;
Fred Doiron, Shédiac;
Jean Doiron, Meadowbrook;
Joseph E. Duguay, Petit-Cap;
François Fagan, Cap-Pelé;
Roy A. Fogarty, Leblanc Office;
William P. Forest, Dominique Fougère, Ephrem Gallant, et Joseph Gallant, Shédiac;
François E. Gallant, Pointe-du-Chêne;
Amédée Gautreau, Shédiac;
Amédée Gould, Cap-Pelé;
Louis J. Jacob et Désiré Jacob, Petit-Cap;
Irénée LeBlanc, Cap-Pelé;
André P. LeBlanc, Shédiac;
Ambroise Léger, Barachois;
Jean T. Léger, Clarence Léger, Philippe Léger, et Léo J. Léger, Shédiac;
Théotime S. Léger, Cap-Pelé;
Arthur E. Léger, Scoudouc;
Jean Léger, Aboujagane;
Clarence Melanson et Severin Melanson, Scoudouc;
Alfred Petitpas, Shédiac;
Patrice Petitpas, Pointe-du-Chêne;
Adélard Richard, Haute-Aboujagane;
François Richard, Aboujagane;
Jacob O. Richard, Saint-André;
Patrice Richard et Blair Richard, Petit-Cap;
Télésphore Richard, Bois Hébert;
Grégoire Thibodeau, Dorchester Crossing;
Gilbert Vautour et Severin Vautour, Shédiac

Notes sur les sources: Les citations non-attribuées dans le texte sont tirées des journaux d'époque, soit L'Évangéline, Le Moniteur Acadien, L'Acadien, ou le Moncton Times. Les citations numérotées sont tirées des documents suivants:

(1) - "Un aperçu historique et un régistre photographique du Bataillon 'Acadien' d'outremer 165ième F.E.C., Lieut. Colonel L.C.D'Aigle, Officier Commandant", printemps 1918. L'aperçu historique couvre la période précédant le départ outremer.

(2) - Centre d'Études Acadiennes, doss. "Bataillon Acadien". Lettre de Valcartier, Juin 1916, du soldat Alphée Langis à Clément (Cormier ?).

(3) - Arch. Nat. Canada. Lettre du Lieut.- Col. D'Aigle au général commandant la 1ère brigade d'infanterie. Valcartier, 29 août, 1916. RG24, vol. 1401, HQ 593-6-2, vol. 18

(4) - Arch. Nat. Canada. Divers documents. RG24, vol. 1401, HQ 593-6-2, vol. 18

(5) - Raoul DIONNE. Journal d'un aumônier de la guerre 1914 (Mgr. Jean Gaudet). Les cahiers, Soc. Hist. Acadienne, Vol. 17, no. 2, 1986.

(6) - Desmond MORTON. When Your Number's Up. (The Canadian Soldier in the First World War). Random House, Toronto, 1993.

(7) - Arch. Nat. Canada. RG9, III, vol. 4951, 477. Hist. Rec. 13th Res. Bn.

(8) - Col. G.W.L. NICHOLSON. Le Corps expéditionnaire canadien 1914-1919. Imprimeur de la Reine, Ottawa, 1963. p.540-542.

(9) - Arch. Nat. Canada. RG9, III C8, vol. 4499, Compagnies, CFC.

(10) - Centre d'Études Acadiennes. Note biographique sur Mgr. Jean Gaudet.

(11) - Centre d'Études Acadiennes. Dossier "Bataillon Acadien". Lettre de P.J. Veniot aux organisateurs du bataillon.


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